Je ne sais pas très bien ce que "moderne" et "modernité" veulent dire. Peut-être qu'il y a quatre ou cinq ans j'aurais osé les définir; la modernité me semblait liée à "l'avant-garde", à ce qui représente les tendances de pointe dans l'activité humaine. Depuis, à tort ou à raison, je considère que l'avant-garde a cessé d'exister, faute de ligne de démarcation entre les choses admises et celles qui ne le sont pas, sa raison d'exister étant de franchir et de repousser toujours plus loin cette ligne de démarcation. Or, quand théoriquement et pratiquement l'on considère que tout est admis, je me demande quel sens peut encore avoir la notion d'avant-garde ?
Je crois que la disparition de cette notion - devenue non-sens - qui semblait désigner une tendance, une voie, une direction, plonge le monde de l'art dans un espace sans pointe, sans ligne à franchir, sans avant ni arrière, où les choses s'égalisent et se valent;
de là, sans doute, la sensation que le concept de modernité est devenu pour moi dérisoire.

Cahier d'atelier - Février 1974

On déclarait à une certaine époque que la figuration est dépassée, vive donc l'abstrait, ensuite que l'abstrait est dépassé, vive le pop-art, ensuite que la peinture est morte, vive l'anti-peinture, que l'art est mort, vive l'anti-art. Combien vite les "anti" ont été "récupérés".
Ses représentants sont actuellement primés et membres de divers jurys et académies, pis encore, ironie du sort, certains sont "profs", tout en étant déjà "dépassés". Des excès de langage sans doute, justifiés jusqu'à un certain point par l'enthousiasme quand il est sincère, mais je vois surtout une façon de penser un peu puérile; j'ai péché moi-même dans ce sens, donc je crois savoir ce dont je parle.
Je crois que rien n'est mort, ni l'abstrait, ni la figuration, ni la recherche, ni l'art... et si par hasard ils sont morts sans que je m'en aperçoive, eh bien tant pis ! De toute façon tant que j'ai envie de peindre, pour moi la peinture n'est pas morte.
Le reste c'est du bavardage, de la mauvaise littérature, et ce n'est pas mon affaire.

Cahier d'atelier - Février 1974